【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (39)
La mère Méhudin, qui sembla s’éveiller, eut un rire inquiétant. On croyait
donc qu’elles volaient la marchandise. – Huit francs, une barbue de cette
grosseur ! on t’en donnera, ma petite, pour te tenir la peau fraîche, la nuit.
La belle Normande, d’un air offensé, tournait la tête. Mais la bonne revint
deux fois, offrit neuf francs, alla jusqu’à dix francs. Puis, comme elle partait
pour tout de bon :
– Allons, venez, lui cria la poissonnière, donnez-moi de l’argent.
La bonne se planta devant le banc, causant amicalement avec la mère
Méhudin. Madame Taboureau se montrait si exigeante ! Elle avait du
monde à dîner, le soir ; des cousines de Blois, un notaire avec sa dame. La
famille de madame Taboureau était très comme il faut ; elle-même, bien que
boulangère, avait reçu une belle éducation.
– Videz-la-moi bien, n’est-ce pas ? dit-elle en s’interrompant.
La belle Normande, d’un coup de doigt avait vidé la barbue et jeté la
vidure dans le seau. Elle glissa un coin de son tablier sous les ouïes, pour
enlever quelques grains de sable. Puis, mettant elle-même le poisson dans
le panier de l’Auvergnate :
– La, ma belle, vous m’en ferez des compliments.
Mais, au bout d’un quart d’heure, la bonne accourut toute rouge ; elle
avait pleuré, sa petite personne tremblait de colère. Elle jeta la barbue sur
le marbre, montrant, du côté du ventre, une large déchirure qui entamait
la chair jusqu’à l’arête. Un flot de paroles entrecoupées sortit de sa gorge
serrée encore par les larmes.