【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (45)
Puis, il avait des rires perlés, en ajoutant :
– C’est ma tante Claire qui a l’air d’une carne ce matin… Dis, monsieur,
est-ce que c’est vrai que tu vas lui chauffer les pieds, la nuit ?
Florent, consterné, se prit d’un étrange intérêt pour ce gamin. La belle
Normande restait pincée, laissait son enfant aller chez lui, sans dire un mot.
Alors, il se crut autorisé à le recevoir ; il l’attira, l’après-midi, peu à peu
conduit à l’idée d’en faire un petit bonhomme bien sage. Il lui semblait
que son frère Quenu rapetissait, qu’ils se trouvaient encore tous les deux
dans la grande chambre de la rue Royer-Collard. Sa joie, son rêve secret
de dévouement, était de vivre toujours en compagnie d’un être jeune, qui
ne grandirait pas, qu’il instruirait sans cesse, dans l’innocence duquel il
aimerait les hommes. Dès le troisième jour, il apporta un alphabet. Muche le
ravit par son intelligence. Il apprit ses lettres avec la verve parisienne d’un
enfant des rues. Les images de l’alphabet l’amusaient extraordinairement.
Puis, dans l’étroit bureau, il prenait des récréations formidables, le poêle
demeurait son grand ami, un sujet de plaisirs sans fin. Il y fit cuire d’abord
des pommes de terre et des châtaignes ; mais cela lui parut fade. Il vola alors
à la tante Claire des goujons qu’il mit rôtir un à un, au bout d’un fil, devant
la bouche ardente ; il les mangeait avec délices, sans pain. Un jour même,
il apporta une carpe ; elle ne voulut jamais cuire, elle empesta le bureau, au
point qu’il fallut ouvrir porte et fenêtre. Florent, quand l’odeur de toute cette
cuisine devenait trop forte, jetait les poissons à la rue. Le plus souvent, il
riait. Muche, au bout de deux mois, commençait à lire couramment, et ses
cahiers d’écriture étaient très propres.