【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (44)
Muche, à sept ans, était un petit bonhomme joli comme un ange et
grossier comme un roulier. Il avait des cheveux châtains crépus, de beaux
yeux tendres, une bouche pure qui sacrait, qui disait des mots gros à écorcher
un gosier de gendarme. Élevé dans les ordures des Halles, il épelait le
catéchisme poissard, se mettait un poing sur la hanche, faisait la maman
Méhudin, quand elle était en colère. Alors les « salopes, » les « catins, » les
« va donc moucher ton homme, » les « combien qu’on te la paye, ta peau ? »
passaient dans le filet de cristal de sa voix d’enfant de chœur. Et il voulait
grasseyer, il encanaillait son enfance exquise de bambin souriant sur les
genoux d’une Vierge. Les poissonnières riaient aux larmes. Lui, encouragé,
ne plaçait plus deux mots sans mettre un « nom de Dieu ! » au bout. Mais il
restait adorable, ignorant de ces saletés, tenu en santé par les souffles frais
et les odeurs fortes de la marée, récitant son chapelet d’injures graveleuses
d’un air ravi, comme il aurait dit ses prières.
L’hiver venait ; Muche fut frileux, cette année-là. Dès les premiers froids,
il se prit d’une vive curiosité pour le bureau de l’inspecteur. Le bureau
de Florent se trouvait à l’encoignure de gauche du pavillon, du côté de la
rue Rambuteau. Il était meublé d’une table, d’un casier, d’un fauteuil, de
deux chaises et d’un poêle. C’était de ce poêle dont Muche rêvait. Florent
adorait les enfants. Quand il vit ce petit, les jambes trempées, qui regardait à
travers les vitres, il le fit entrer. La première conversation de Muche l’étonna
profondément. Il s’était assis devant le poêle, il disait de sa voix tranquille :
– Je vais me rôtir un brin les quilles, tu comprends ?… Il fait un froid
du tonnerre de Dieu.