【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (50)
Là,il regardait marchander des messieurs, en chapeau et en gants noirs, qui
finissaient par emporter une langouste cuite, enveloppée d’un journal, dans
une poche de leur redingote. Plus loin, devant les tables volantes où se
vend le poisson commun, il reconnaissait les femmes du quartier, venant
à la même heure, les cheveux nus. Parfois, il s’intéressait à quelque dame
bien mise, traînant ses dentelles le long des pierres mouillées, suivie d’une
bonne en tablier blanc ; celle-là, il l’accompagnait à quelque distance,
en voyant les épaules se hausser derrière ses mines dégoûtées. Ce tohubohu
de paniers, de sacs de cuir, de corbeilles, toutes ces jupes filant dans
le ruissellement des allées, l’occupaient, le menaient jusqu’au déjeuner,
heureux de l’eau qui coulait, de la fraîcheur qui soufflait, passant de l’âpreté
marine des coquillages au fumet amer de la saline. C’était toujours par
la saline qu’il terminait son inspection ; les caisses de harengs saurs,
les sardines de Nantes sur des lits de feuilles, la morue roulée, s’étalant
devant de grosses marchandes fades, le faisaient songer à un départ, à un
voyage, au milieu de barils de salaisons. Puis, l’après-midi, les Halles se
calmaient, s’endormaient. Il s’enfermait dans son bureau, mettait au net
ses écritures, goûtait ses meilleures heures. S’il sortait, s’il traversait la
poissonnerie, il la trouvait presque déserte. Ce n’était plus l’écrasement, les
poussées, le brouhaha de dix heures. Les poissonnières, assises derrière leurs
tables vides, tricotaient, le dos renversé ; et de rares ménagères attardées,
tournaient, regardant de côté, avec ce regard lent, ces lèvres pincées des
femmes qui calculent à un sou près le prix du dîner. Le crépuscule tombait,
il y avait un bruit de caisses remuées, le poisson était couché pour la nuit
sur des lits de glace. Alors, Florent, après avoir assisté à la fermeture des
grilles, emportait avec lui la poissonnerie dans ses vêtements, dans sa barbe,
dans ses cheveux.