【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (49)
Mais, peu à peu, une inquiétude sourde le désespéra ; il était mécontent,
s’accusait de fautes qu’il ne précisait pas, se révoltait contre ces vides qui lui
semblaient se creuser de plus en plus dans sa tête et dans sa poitrine. Puis,
des souffles puants, des haleines de marée gâtée, passèrent sur lui avec de
grandes nausées. Ce fut un détraquement lent, un ennui vague qui tourna à
une vive surexcitation nerveuse.
Toutes ses journées se ressemblaient. Il marchait dans les mêmes
bruits, dans les mêmes odeurs. Le matin, les bourdonnements des criées
l’assourdissaient d’une lointaine sonnerie de cloches ; et, souvent, selon la
lenteur des arrivages les criées ne finissaient que très tard. Alors, il restait
dans le pavillon jusqu’à midi, dérangé à toute minute par des contestations,
des querelles, au milieu desquelles il s’efforçait de se montrer très juste. Il lui
fallait des heures pour sortir de quelque misérable histoire qui révolutionnait
le marché. Il se promenait au milieu de la cohue et du tapage de la vente,
suivait les allées à petits pas, s’arrêtait parfois devant les poissonnières
dont les bancs bordent la rue Rambuteau. Elles ont de grands tas roses de
crevettes, des paniers rouges de langoustes cuites, liées, la queue arrondie ;
tandis que des langoustes vivantes se meurent, aplaties sur le marbre.