【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (48)
– Laissez donc ! dit celle-ci, c’est une toquée… Elle n’est jamais de l’avis
des autres. C’est pour me faire enrager, ce qu’elle a fait là.
Elle triomphait, elle se carrait à son banc, plus coquette, avec des
coiffures extrêmement compliquées. Ayant rencontré la belle Lisa, elle lui
rendit son regard de dédain ; elle lui éclata même de rire en plein visage.
La certitude qu’elle allait désespérer la charcutière, en attirant le cousin,
lui donnait un beau rire sonore, un rire de gorge, dont son cou gras et blanc
montrait le frisson. À ce moment, elle eut l’idée d’habiller Muche très
joliment, avec une petite veste écossaise et une toque de velours. Muche
n’était jamais allé qu’en blouse débraillée. Or, il arriva que précisément à
cette époque, Muche fut repris d’une grande tendresse pour les fontaines.
La glace avait fondu, le temps était tiède. Il fit prendre un bain à la veste
écossaise, laissant couler l’eau à plein robinet, depuis son coude jusqu’à sa
main, ce qu’il appelait jouer à la gouttière. Sa mère le surprit en compagnie
de deux autres galopins, regardant nager, dans la toque de velours remplie
d’eau, deux petits poissons blancs qu’il avait volés à la tante Glaire.
Florent vécut près de huit mois dans les Halles, comme pris d’un
continuel besoin de sommeil. Au sortir de ses sept années de souffrances,
il tombait dans un tel calme, dans une vie si bien réglée, qu’il se sentait à
peine exister. Il s’abandonnait, la tête un peu vide, continuellement surpris
de se retrouver chaque matin sur le même fauteuil, dans l’étroit bureau. Cette
pièce lui plaisait, avec sa nudité, sa petitesse de cabine. Il s’y réfugiait, loin
du monde, au milieu du grondement continu des Halles, qui le faisait rêver
à quelque grande mer, dont la nappe l’aurait entouré et isolé de toute part.