【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (55)
Fatalement, Florent revint à la politique. Il avait trop souffert par elle,
pour ne pas en faire l’occupation chère de sa vie. Il fût devenu, sans le
milieu et les circonstances, un bon professeur de province, heureux de la
paix de sa petite ville. Mais on l’avait traité en loup, il se trouvait maintenant
comme marqué par l’exil pour quelque besogne de combat. Son malaise
nerveux n’était que le réveil des longues songeries de Cayenne, de ses
amertumes en face de souffrances imméritées, de ses serments de venger
un jour l’humanité traitée à coups de fouet et la justice foulée aux pieds.
Les Halles géantes, les nourritures débordantes et fortes, avaient hâté la
crise. Elles lui semblaient la bête satisfaite et digérant, Paris entripaillé,
cuvant sa graisse, appuyant sourdement l’empire. Elles mettaient autour de
lui des gorges énormes, des reins monstrueux, des faces rondes, comme
de continuels arguments contre sa maigreur de martyr, son visage jaune de
mécontent. C’était le ventre boutiquier, le ventre de l’honnêteté moyenne, se
ballonnant, heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux,
que jamais les gens de mœurs paisibles n’avaient engraissé si bellement.
Alors, il se sentit les poings serrés, prêt à une lutte, plus irrité par la pensée de
son exil, qu’il ne l’était en rentrant en France. La haine le reprit tout entier.
Souvent, il laissait tomber sa plume, il rêvait. Le feu mourant tachait sa face
d’une grande flamme ; la lampe charbonneuse filait, pendant que le pinson,
la tête sous l’aile, se rendormait sur une patte.