【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (55)
Et elle s’en allait, ruisselante. Florent était tout rafraîchi, quand il la
quittait. Il tenta aussi le travail, pour combattre les angoisses nerveuses dont
il souffrait. C’était un esprit méthodique qui poussait parfois le strict emploi
de ses heures jusqu’à la manie. Il s’enferma deux soirs par semaine, afin
d’écrire un grand ouvrage sur Cayenne. Sa chambre de pensionnaire était
excellente, pensait-il, pour le calmer et le disposer au travail. Il allumait
son feu, voyait si le grenadier, au pied de son lit, se portait bien ; puis,
il approchait la petite table, il restait à travailler jusqu’à minuit. Il avait
repoussé le paroissien et la Clef des songes au fond du tiroir, qui peu à
peu s’emplit de notes, de feuilles volantes, de manuscrits de toutes sortes.
L’ouvrage sur Cayenne n’avançait guère, coupé par d’autres projets, des
plans de travaux gigantesques, dont il jetait l’esquisse en quelques lignes.
Successivement, il ébaucha une réforme absolue du système administratif
des Halles, une transformation des octrois en taxes sur les transactions,
une répartition nouvelle de l’approvisionnement dans les quartiers pauvres,
enfin une loi humanitaire, encore très confuse, qui emmagasinait en commun
les arrivages et assurait chaque jour un minimum de provisions à tous les
ménages de Paris. L’échine pliée, perdu dans des choses graves, il mettait
sa grande ombre noire au milieu de la douceur effacée de la mansarde. Et,
parfois, un pinson qu’il avait ramassé dans les Halles, par un temps de neige,
se trompait en voyant la lumière, jetait son cri dans le silence que troublait
seul le bruit de la plume courant sur le papier.