【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (54)
Balthazar allait à l’auberge. Elle, restait sous l’averse, pour vendre ses
légumes. Le carreau se changeait en une mare de boue liquide. Les choux,
les carottes, les navets, battus par l’eau grise, se noyaient dans cette coulée
de torrent fangeux, roulant à pleine chaussée. Ce n’était plus les verdures
superbes des claires matinées. Les maraîchers, au fond de leur limousine,
gonflaient le dos, sacrant contre l’administration qui, après enquête, a
déclaré que la pluie ne fait pas de mal aux légumes, et qu’il n’y a pas lieu
d’établir des abris.
Alors, les matinées pluvieuses désespérèrent Florent. Il songeait à
madame François. Il s’échappait, allait causer un instant avec elle. Mais il ne
la trouvait jamais triste. Elle se secouait comme un caniche, disait qu’elle en
avait bien vu d’autres, qu’elle n’était pas en sucre, pour fondre comme ça,
aux premières gouttes d’eau. Il la forçait à entrer quelques minutes sous une
rue couverte ; plusieurs fois même il la mena jusque chez monsieur Lebigre,
où ils burent du vin chaud. Pendant qu’elle le regardait amicalement, de sa
face tranquille, il était tout heureux de cette odeur saine des champs qu’elle
lui apportait, dans les mauvaises haleines des Halles. Elle sentait la terre, le
foin, le grand air, le grand ciel.
– Il faudra venir à Nanterre, mon garçon, disait-elle. Vous verrez mon
potager ; j’ai mis des bordures de thym partout… Ça pue, dans votre gueux
de Paris !