【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (61)
Il affectionnait les mots « tyranniquement, liberticide, anticonstitutionnel,
révolutionnaire ; » ou bien, il faisait copier à l’enfant des phrases comme
celles-ci : « Le jour de la justice viendra… La souffrance du juste est la
condamnation du pervers… Quand l’heure sonnera, le coupable tombera. »
Il obéissait très naïvement, en écrivant les modèles d’écriture, aux idées qui
lui hantaient le cerveau ; il oubliait Muche, la belle Normande, tout ce qui
l’entourait. Muche aurait copié le Contrat social. Il alignait, pendant des
pages entières, des « tyranniquement » et des « anticonstitutionnel, » en
dessinant chaque lettre.
Jusqu’au départ du professeur, la mère Méhudin tournait autour de la
table, en grondant. Elle continuait à nourrir contre Florent une rancune
terrible. Selon elle, il n’y avait pas de bon sens à faire travailler ainsi le petit,
le soir, à l’heure où les enfants doivent dormir. Elle aurait certainement jeté
« le grand maigre » à la porte, si la belle Normande, après une explication très
orageuse, ne lui avait nettement déclaré qu’elle s’en irait loger ailleurs, si elle
n’était pas maîtresse de recevoir chez elle qui bon lui semblait. D’ailleurs,
chaque soir, la querelle recommençait.
– Tu as beau dire, répétait la vieille, il a l’œil faux… Puis, les maigres,
je m’en défie. Un homme maigre, c’est capable de tout. Jamais je n’en ai
rencontré un de bon…. Le ventre lui est tombé dans les fesses à celui-là,
pour sûr ; car il est plat comme une planche… Et pas beau avec ça ! Moi qui
ai soixante-cinq ans passés, je n’en voudrais pas dans ma table de nuit.