【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (62)
Elle disait cela, parce qu’elle voyait bien comment tournaient les choses.
Et elle parlait avec admiration de monsieur Lebigre, qui se montrait très
galant, en effet, pour la belle Normande ; outre qu’il flairait là une grosse
dot, il pensait que la jeune femme serait superbe au comptoir. La vieille
ne tarissait pas : au moins celui-là n’était pas efflanqué ; il devait être
fort comme un Turc ; elle allait jusqu’à s’enthousiasmer sur ses mollets,
qu’il avait très gros Mais la Normande haussait les épaules, en répondant
aigrement :
– Je m’en moque pas mal, de ses mollets ; je n’ai besoin des mollets de
personne… Je fais ce qu’il me plaît.
Et, si la mère voulait continuer et devenait trop nette :
– Eh bien, quoi ! criait la fille, ça ne vous regarde pas… Ce n’est pas vrai,
d’ailleurs. Puis, si c’était vrai, je ne vous en demanderais pas la permission,
n’est-ce pas ? Fichez-moi la paix.
Elle rentrait dans sa chambre en faisant claquer la porte. Elle avait pris
dans la maison un pouvoir dont elle abusait. La vieille, la nuit, quand elle
croyait surprendre quelque bruit, se levait, nu-pieds, pour écouter à la porte
de sa fille si Florent n’était pas venu la retrouver. Mais celui-ci avait encore
chez les Méhudin une ennemie plus rude. Dès qu’il arrivait, Claire se levait
sans dire un mot, prenait un bougeoir, rentrait chez elle, de l’autre côté du
palier. On l’entendait donner les deux tours à la serrure, avec une rage froide.