【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (69)
– Tiens ! la grosse vache est levée ! criait la belle Normande. Elle se
ficelle comme ses saucissons, cette femme-là… Ah bien ! elle a remis son
col de samedi, et elle porte encore sa robe de popeline !
Au même instant, de l’autre côté de la rue, la belle Lisa disait à sa fille
de boutique :
– Voyez donc, Augustine, cette créature qui nous dévisage, là-bas. Elle
est toute déformée, avec la vie qu’elle mène…. Est-ce que vous apercevez
ses boucles d’oreilles ? Je crois qu’elle a ses grandes poires, n’est-ce pas ?
Ça fait pitié, des brillants, à des filles comme ça.
– Pour ce que ça lui coûte ! répondait complaisamment Augustine.
Quand l’une d’elles avait un bijou nouveau, c’était une victoire ; l’autre
crevait de dépit. Toute la matinée, elles se jalousaient leurs clients, se
montraient très maussades, si elles s’imaginaient que la vente allait mieux
chez « la grande bringue d’en face. » Puis, venait l’espionnage du déjeuner ;
elles savaient ce qu’elles mangeaient, épiaient jusqu’à leur digestion.
L’après-midi, assises l’une dans ses viandes cuites, l’autre dans ses poissons,
elles posaient, faisaient les belles, se donnaient un mal infini. C’était l’heure
qui décidait du succès de la journée. La belle Normande brodait, choisissait
des travaux d’aiguille très délicats, ce qui exaspérait la belle Lisa.
– Elle ferait mieux, disait-elle, de raccommoder les bas de son garçon,
qui va nu-pieds… Voyez-vous cette demoiselle, avec ses mains rouges puant
le poisson !
Elle, tricotait, d’ordinaire.