【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (83)
Elle ne trahissait même pas cette familiarité par un sursaut ; lorsqu’il l’avait
pincée au sang, elle disait qu’elle n’était pas chatouilleuse. Cependant,
monsieur Lebigre, dans l’odeur devin et le ruissellement de clartés chaudes
qui l’assoupissaient, tendait l’oreille aux bruits du cabinet. Il se levait quand
les voix montaient, allait s’adosser à la cloison ; ou même il poussait la porte,
il entrait, s’asseyait un instant, en donnant une tape sur la cuisse de Gavard.
Là, il approuvait tout de la tête. Le marchand de volailles disait que, si ce
diable de Lebigre n’avait guère l’étoffe d’un orateur, on pouvait compter sur
lui « le jour du grabuge. »
Mais Florent, un matin, aux Halles, dans une querelle affreuse qui éclata
entre Rose et une poissonnière, à propos d’une bourriche de harengs que
celle-ci avait fait tomber d’un coup de coude, sans le vouloir, l’entendit
traiter de « panier à mouchard » et de « torchon de la préfecture. » Quand
il eut rétabli la paix, on lui en dégoisa long sur monsieur Lebigre : il était
de la police ; tout le quartier le savait bien ; mademoiselle Saget, avant de
se servir chez lui, disait l’avoir rencontré une fois allant au rapport ; puis,
c’était un homme d’argent, un usurier qui prêtait à la journée aux marchands
des quatre saisons, et qui leur louait des voitures, en exigeant un intérêt
scandaleux. Florent fut très ému. Le soir même, en étouffant la voix, il crut
devoir répéter ces choses à ces messieurs. Ils haussèrent les épaules, rirent
beaucoup de ses inquiétudes.