【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (82)
Si les discussions n’aboutissaient guère, elles tenaient ces messieurs en
haleine. Il sortait un bruit formidable du cabinet ; les vitres dépolies vibraient
comme des peaux de tambour. Parfois, le bruit devenait si fort que Rose,
avec sa langueur, versant au comptoir un canon à quelque blouse, tournait
la tête d’inquiétude.
– Ah bien ! merci, ils se cognent là-dedans, disait la blouse, en reposant
le verre sur le zinc, et en se torchant la bouche d’un revers de main.
– Pas de danger, répondait tranquillement monsieur Lebigre ; ce sont des
messieurs qui causent.
Monsieur Lebigre, très rude pour les autres consommateurs, les laissait
crier à leur aise, sans jamais leur faire la moindre observation. Il restait
des heures sur la banquette du comptoir, en gilet à manches, sa grosse
tête ensommeillée appuyée contre la glace, suivant du regard Rose qui
débouchait des bouteilles ou qui donnait des coups de torchon Les jours
de belle humeur, quand elle était devant lui, plongeant des verres dans le
bassin aux rinçures, les poignets nus, il la pinçait fortement au gras des
jambes, sans qu’on pût le voir, ce qu’elle acceptait avec un sourire d’aise.