【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (85)
Les discussions noyèrent cet incident. Monsieur Lebigre, depuis que
Logre avait lancé l’idée d’un complot, donnait des poignées de mains plus
rudes aux habitués du cabinet. À la vérité, leur clientèle devait être d’un
maigre profit ; ils ne renouvelaient jamais leurs consommations. À l’heure
du départ, ils buvaient la dernière goutte de leur verre, sagement ménagé
pendant les ardeurs des théories politiques et sociales. Le départ, dans le
froid humide de la nuit, était tout frissonnant. Ils restaient un instant sur
le trottoir, les yeux brûlés, les oreilles assourdies, comme surpris par le
silence noir de la rue. Derrière eux, Rose mettait les boulons des volets. Puis,
quand ils s’étaient serrés les mains, épuisés, ne trouvant plus un mot, ils
se séparaient, mâchant encore des arguments, avec le regret de ne pouvoir
s’enfoncer mutuellement leur conviction dans la gorge. Le dos rond de
Robine moutonnait, disparaissait du côté de la rue Rambuteau ; tandis que
Charvet et Clémence s’en allaient par les Halles, jusqu’au Luxembourg, côte
à côte, faisant sonner militairement leurs talons, en discutant encore quelque
point de politique ou de philosophie, sans jamais se donner le bras.