【Emile Zola】Le Ventre de Paris III (86)
Le complot mûrissait lentement. Au commencement de l’été, il n’était
toujours question que de la nécessité de « tenter le coup. » Florent, qui,
dans les premiers temps, éprouvait une sorte de méfiance, finit par croire
à la possibilité d’un mouvement révolutionnaire. Il s’en occupait très
sérieusement, prenant des notes, faisant des plans écrits. Les autres parlaient
toujours. Lui, peu à peu, concentra sa vie dans l’idée fixe dont il se battait
le crâne chaque soir, au point qu’il mena son frère Quenu chez monsieur
Lebigre, naturellement, sans songer à mal. Il le traitait toujours un peu
comme son élève, il dut même penser qu’il avait le devoir de le lancer dans
la bonne voie. Quenu était absolument neuf en politique. Mais au bout de
cinq ou six soirées, il se trouva à l’unisson. Il montrait une grande docilité,
une sorte de respect pour les conseils de son frère, quand la belle Lisa
n’était pas là. D’ailleurs, ce qui le séduisit, avant tout, ce fut la débauche
bourgeoise de quitter sa charcuterie, de venir s’enfermer dans ce cabinet où
l’on criait si fort, et où la présence de Clémence mettait pour lui une pointe
d’odeur suspecte et délicieuse. Aussi bâclait-il ses andouilles maintenant,
afin d’accourir plus vite, ne voulant pas perdre un mot de ces discussions qui
lui semblaient très fortes, sans qu’il pût souvent les suivre jusqu’au bout. La
belle Lisa s’apercevait très bien de sa hâte à s’en aller. Elle ne disait encore
rien. Quand Florent l’emmenait, elle venait sur le seuil de la porte les voir
entrer chez monsieur Lebigre, un peu pâle, les yeux sévères.