【Emile Zola】Le Ventre de Paris IV (103)
Marjolin fut trouvé au marché des Innocents, dans un tas de choux, sous
un chou blanc, énorme, et dont une des grandes feuilles rabattues cachait
son visage rose d’enfant endormi. On ignora toujours quelle main misérable
l’avait posé là. C’était déjà un petit bonhomme de deux à trois ans, très
gras, très heureux de vivre, mais si peu précoce, si empâté, qu’il bredouillait
à peine quelque mots, ne sachant que sourire. Quand une marchande de
légumes le découvrit sous le grand chou blanc, elle poussa un tel cri de
surprise, que les voisines accoururent, émerveillées ; et lui, il tendait les
mains, encore en robe, roulé dans un morceau de couverture. Il ne put dire
qui était sa mère. Il avait des yeux étonnés, en se serrant contre l’épaule
d’une grosse tripière qui l’avait pris entre les bras. Jusqu’au soir, il occupa
le marché. Il s’était rassuré, il mangeait des tartines, il riait à toutes les
femmes. La grosse tripière le garda ; puis, il passa à une voisine ; un mois
plus tard, il couchait chez une troisième. Lorsqu’on lui demandait : « Où est
ta mère ? » il avait un geste adorable : sa main faisait le tour, montrant les
marchandes toutes à la fois. Il fut l’enfant des Halles suivant les jupes de
l’une ou de l’autre, trouvant toujours un coin dans un lit, mangeant la soupe
un peu partout, habillé à la grâce de Dieu, et ayant quand même des sous au
fond de ses poches percées. Une belle fille rousse, qui vendait des plantes
officinales, l’avait appelé Marjolin, sans qu’on sût pourquoi.