Florent était condamné. Elle faisait un véritable effort pour ne pas se
soulager, laisser couler le flot de rancune amassée qu’elle avait sur le cœur. Il
heurtait tous ses instincts, la blessait, l’épouvantait, la rendait véritablement
malheureuse. Elle murmura encore :
– Un homme qui a eu les plus vilaines aventures, qui n’a pas su se créer
seulement un chez lui… Je comprends qu’il veuille des coups de fusil. Qu’il
aille en recevoir, s’il les aime ; mais qu’il laisse les braves gens à leur
famille… Puis il ne me plaît pas, voilà ! Il sent le poisson, le soir, à table.
Ça m’empêche de manger. Lui, n’en perd pas une bouchée ; et pour ce que
ça lui profite ! Il ne peut pas seulement engraisser, le malheureux, tant il est
rongé de méchanceté.
Elle s’était approchée de la fenêtre. Elle vit Florent qui traversait la
rue Rambuteau, pour se rendre à la poissonnerie. L’arrivage de la marée
débordait, ce matin-là ; les mannes avaient de grandes moires d’argent,
les criées grondaient. Lisa suivit les épaules pointues de son beau-frère
entrant dans les odeurs fortes des Halles, l’échine pliée, avec cette nausée de
l’estomac qui lui montait aux tempes ; et le regard dont elle l’accompagnait
était celui d’une combattante, d’une femme résolue au triomphe.
Quand elle se retourna, Quenu se levait. En chemise, les pieds dans
la douceur du tapis de mousse, encore tout chaud de la bonne chaleur de
l’édredon, il était blême, affligé de la mésintelligence de son frère et de sa
femme. Mais Lisa eut un de ses beaux sourires. Elle le toucha beaucoup en
lui donnant ses chaussettes.