Bientôt avec son goût et son talent d'imitation, il arriva à singer le singe, à lui prendre toutes ses grimaces, son claquement de lèvres, ses petits cris, sa façon de cligner des yeux et de battre des paupières. Il s'épouillait comme lui, avec des grattements sur les pectoraux ou sous le jarret d'une jambe levée en l'air. Le singe, d'abord étonné, avait fini par voir un camarade dans Anatole. Et ils faisaient tous deux des parties de jeu de gamins. Tout à coup, dans l'atelier, des bonds, des élancements, une espèce de course volante entre l'homme et la bête, un bousculement, un culbutis, un tapage, des cris, des rires, des sauts, une lutte furieuse d'agilité et d'escalade, mettaient dans l'atelier le bruit, le vertige, le vent, l'étourdissement, le tourbillon de deux singes qui se donnent la chasse. Les meubles, les plâtres, les murs en tremblaient. Et tous deux, au bout de la course, se trouvant nez à nez, il arrivait presque toujours ceci: excité par le plaisir nerveux de l'exercice, l'irritation du jeu, l'enivrement du mouvement, Vermillon, piété sur ses quatre pattes, la queue roide, sa raie de vieille femme dessinée sur son front qui se fronçait, les oreilles aplaties, le museau tendu et plissé, ouvrait sa gueule avec la lenteur d'un ressort à crans, et montrait des crocs prêts à mordre. Mais à ce moment, il trouvait en face de lui une tête qui ressemblait tellement à la sienne, une répétition si parfaite de sa colère de singe, que tout décontenancé, comme s'il se voyait dans une glace, il sautait après sa corde et s'en allait réfléchir tout en haut de l'atelier à ce singulier animal qui lui ressemblait tant.
C'était une vraie paire d'amis. Ils ne pouvaient se passer l'un de l'autre. Quand par hasard Anatole n'était pas là, Vermillon restait à bouder solitairement dans un coin, refusait de jouer avec des mouvements grognons qui tournaient le dos aux personnes; et si les personnes insistaient, il leur imprimait la marque de ses dents sur la peau, sans mordre tout à fait, avec une douceur d'avertissement. Quoiqu'il eût la longue mémoire rancunière de sa race, des patiences de vengeance qui attendaient des mois, il pardonnait à Anatole ses mauvaises farces, ses cadeaux de noisettes creuses. Quand il voulait quelque chose, c'était à lui qu'il faisait son petit cri de demande. C'était à lui qu'il se plaignait quand il était un peu malade, auprès de lui qu'il se réfugiait pour demander une intercession, quand il avait fait quelque mauvais coup et qu'il sentait une correction dans l'air. Quelquefois, au soleil couchant, il lui venait de petits gestes de câlinerie qui demandaient pour s'endormir les bras d'Anatole. Et il adorait lui éplucher la tête.
Il semblait que le singe se sentait comme rapproché par un voisinage de nature de ce garçon si souple, si élastique, à la physionomie si mobile; il retrouvait en lui un peu de sa race: c'était bien un homme, mais presque un homme de sa famille; et rien n'était plus curieux que de le voir, souvent, quand Anatole lui parlait, essayer avec ses petites mains de lui toucher la langue, comme s'il avait eu l'idée de chercher à se rendre compte de ce mécanisme étonnant que ce grand singe avait, et que lui n'avait pas.
A la longue, les deux amis avaient déteint l'un sur l'autre. Si Vermillon avait donné du singe à Anatole, Anatole avait donné de l'artiste à Vermillon. Vermillon avait contracté, à côté de lui, le goût de la peinture, un goût qui l'avait d'abord mené à manger des vessies de couleur; puis saisi par une rage de gribouiller du papier, il s'était mis à arracher des plumes aux malheureuses poules du portier, à les tremper dans le ruisseau, et à les promener sur ce qu'il trouvait d'à peu près blanc. Malgré tout ce qu'Anatole avait fait pour encourager ces évidentes dispositions à l'art, Vermillon s'était arrêté à peu près là. Il n'avait pu encore tracer, en dessinant d'après nature, que des ronds, toujours des ronds, et il était à craindre que ce genre de dessin monotone ne fût le dernier mot de son talent.