Vermillon était un macaque Rhésus, le macaque appelé Memnon par Buffon. Sur sa fourrure brune, aux épaules, à la poitrine, il avait des bleuissements de poils rappelant des bleus d'aponévroses. Une tache blanche lui faisait une marque sous le menton. Il portait sur la tête des espèces de cheveux plantés très-bas avec une raie qui s'allongeait sur le front. Dans ses grands yeux bruns, à prunelles noires, brillait une transparence d'un ton marron doré. La pinçure de son petit nez aplati montrait comme l'indication d'un trait d'ébauchoir dans une cire. Son museau était piqué du grenu d'un poulet plumé. Des tons fins de teint de vieillard jouaient sur le rose jaunâtre et bleuâtre de sa peau de visage. A travers ses oreilles tendres, chiffonnées, des oreilles de papier, traversées de fibrilles, le jour en passant devenait orange. Ses miniatures de mains, du violet d'une figue du Midi, avaient des bijoux d'ongles. Et quand il voulait parler, il poussait de petits cris d'oiseau ou de petites plaintes d'enfant.
Anatole avait une tête de gamin dans laquelle la misère, les privations, les excès, commençaient à dessiner le masque et la calvitie d'une tête de philosophe cynique.
Coriolis était un grand garçon très-grand et très-maigre, la tête petite, les jointures noueuses, les mains longues, un garçon se cognant aux linteaux des portes basses, au plafond des coupés, aux lustres des appartements de Paris; un garçon embarrassé de ses jambes, qui ne pouvaient tenir dans aucune stalle d'orchestre, et que, dans ses siestes d'homme du Midi, il jetait plus haut que sa tête sur les tablettes des cheminées et les rebords des poêles, à moins qu'il ne les nouât, en sarments de vigne, l'une autour de l'autre: alors on lui voyait sous son pantalon remonté, un tout petit pied de femme, au cou-de-pied busqué d'Espagnole. Cette grandeur, cette maigreur flottant dans des vêtements amples, donnaient à sa personne, à sa tournure, un dégingandement qui n'était pas sans grâce, une sorte de dandinement souple et fatigué, qui ressemblait à une distinction de nonchalance. Des cheveux bruns, de petits yeux noirs brillants, pétillants, qui éclairaient à la moindre impression; un grand nez, le signe de race de sa famille et de son nom patronymique, Naz, naso; une moustache dure, des lèvres pleines, un peu saillantes, et rouges dans la pâleur légèrement boucanée de son visage, mettaient dans sa figure une chaleur, une vivacité, une énergie sympathiques, une espèce de tendre et mâle séduction, la douceur amoureuse qu'on sent dans quelques portraits italiens du seizième siècle. A ce charme, Coriolis mêlait le caressant de ce joli accent mouillé de son pays, qui lui revenait quand il parlait à une femme.
Dans ce grand corps, il y avait un fond de tempérament féminin, une nature de paresse, de volupté, portée à une vie sans travail et de jouissances sensuelles, une vocation de goûts qui, si elle n'eût pas été contrariée par une grande aptitude picturale, se fût laissée couler à une de ces carrières d'observation, de mondanité, de plaisir, à un de ces postes de salon et de diplomatie parisienne que les ministres savaient créer, sous Louis-Philippe, pour tel séduisant créole. Même à l'heure présente, engagé comme il l'était dans la lutte de ses ambitions, dans le travail de cet art qui remplissait sa vie, tout soutenu qu'il se sentait par la conscience d'un vrai talent, il lui fallait de grands efforts pour toujours vouloir. La continuité lui manquait dans le courage et le labeur de la production. Il éprouvait à tout moment des défaillances, des fatigues, des découragements. Des journées venaient où l'homme des colonies reparaissait dans le piocheur parisien, des journées qu'il usait, étourdissait, perdait à faire de la fumée et à boire des douzaines de tasses de café. Dans la dure et longue violence qu'il venait d'imposer à ses goûts en Orient, il avait eu, pour se soutenir, l'enchantement du pays, le bonheur enivrant du climat, et aussi le far-niente bienheureux d'une contemplation plus occupée encore à regarder des visions qu'à peindre des tableaux. Travailleur, son tempérament faisait de lui un travailleur sans suite, par boutades, par fougues, ayant besoin de se monter, de s'entraîner, de se lier au travail par la force maîtresse d'une habitude; perdu, sans cela, tombant, de l'œuvre désertée, dans des inactions désespérées d'un mois.