CHAPITRE IV L’habitation du Lapin Blanc (3)
Hélas ! il était trop tard ; elle grandissait, grandissait, et eut bientôt à se
mettre à genoux sur le plancher. Mais un instant après, il n’y avait même
plus assez de place pour rester dans cette position, et elle essaya de se
tenir étendue par terre, un coude contre la porte et l’autre bras passé autour
de sa tête. Cependant, comme elle grandissait toujours, elle fut obligée,
comme dernière ressource, de laisser pendre un de ses bras par la fenêtre et
d’enfoncer un pied dans la cheminée en disant : « À présent c’est tout ce que
je peux faire, quoi qu’il arrive. Que vais-je devenir ? »
Heureusement pour Alice, la petite bouteille magique avait alors produit
tout son effet, et elle cessa de grandir. Cependant sa position était bien
gênante, et comme il ne semblait pas y avoir la moindre chance qu’elle pût
jamais sortir de cette chambre, il n’y a pas à s’étonner qu’elle se trouvât bien
malheureuse.
« C’était bien plus agréable chez nous, » pensa la pauvre enfant, « là du
moins je ne passais pas mon temps à grandir et à rapetisser, et je n’étais
pas la domestique des lapins et des souris. Je voudrais bien n’être jamais
descendue dans ce terrier ; et pourtant c’est assez drôle cette manière de
vivre ! Je suis curieuse de savoir ce que c’est qui m’est arrivé. Autrefois,
quand je lisais des contes de fées, je m’imaginais que rien de tout cela ne
pouvait être, et maintenant me voilà en pleine féerie. On devrait faire un
livre sur mes aventures ; il y aurait de quoi ! Quand je serai grande j’en ferai
un, moi. – Mais je suis déjà bien grande ! » dit-elle tristement. « Dans tous
les cas, il n’y a plus de place ici pour grandir davantage. »
« Mais alors, » pensa Alice, « ne serai-je donc jamais plus vieille que
je ne le suis maintenant ? D’un côté cela aura ses avantages, ne jamais être
une vieille femme. Mais alors avoir toujours des leçons à apprendre ! Oh,
je n’aimerais pas cela du tout. »