CHAPITRE IV L’habitation du Lapin Blanc (9)
Alice jugea que le moment était venu de s’échapper. Elle prit sa course
aussitôt, et ne s’arrêta que lorsqu’elle se sentit fatiguée et hors d’haleine,
et qu’elle n’entendit plus que faiblement dans le lointain les aboiements du
petit chien.
« C’était pourtant un bien joli petit chien, » dit Alice, en s’appuyant sur
un bouton d’or pour se reposer, et en s’éventant avec une des feuilles de
la plante. « Je lui aurais volontiers enseigné tout plein de jolis tours si – si
j’avais été assez grande pour cela ! Oh ! mais j’oubliais que j’avais encore
à grandir ! Voyons. Comment faire ? Je devrais sans doute boire ou manger
quelque chose ; mais quoi ? Voilà la grande question. »
En effet, la grande question était bien de savoir quoi ? Alice regarda tout
autour d’elle les fleurs et les brins d’herbes ; mais elle ne vit rien qui lui
parût bon à boire ou à manger dans les circonstances présentes.
Près d’elle poussait un large champignon, à peu près haut comme elle.
Lorsqu’elle l’eut examiné par-dessous, d’un côté et de l’autre, par-devant
et par derrière, l’idée lui vint qu’elle ferait bien de regarder ce qu’il y avait
dessus.
Elle se dressa sur la pointe des pieds, et, glissant les yeux par-dessus le
bord du champignon, ses regards rencontrèrent ceux d’une grosse chenille
bleue assise au sommet, les bras croisés, fumant tranquillement une longue
pipe turque sans faire la moindre attention à elle ni à quoi que ce fût.