CHAPITRE VIII Le croquet de la Reine (6)
Alice n’avait de sa vie vu de jeu de croquet aussi curieux que celui-là.
Le terrain n’était que billons et sillons ; des hérissons vivants servaient de
boules, et des flamants de maillets. Les soldats, courbés en deux, avaient à
se tenir la tête et les pieds sur le sol pour former des arches.
Ce qui embarrassa le plus Alice au commencement du jeu, ce fut
de manier le flamant ; elle parvenait bien à fourrer son corps assez
commodément sous son bras, en laissant pendre les pieds ; mais, le plus
souvent, à peine lui avait-elle allongé le cou bien comme il faut, et allait-elle
frapper le hérisson avec la tête, que le flamant se relevait en se tordant, et la
regardait d’un air si ébahi qu’elle ne pouvait s’empêcher d’éclater de rire ; et
puis, quand elle lui avait fait baisser la tête et allait recommencer, il était bien
impatientant de voir que le hérisson s’était déroulé et s’en allait. En outre,
il se trouvait ordinairement un billon ou un sillon dans son chemin partout
où elle voulait envoyer le hérisson, et comme les soldats courbés en deux
se relevaient sans cesse pour s’en aller d’un autre côté du terrain, Alice en
vint bientôt à cette conclusion : que c’était là un jeu fort difficile, en vérité.
Les joueurs jouaient tous à la fois, sans attendre leur tour, se querellant tout
le temps et se battant à qui aurait les hérissons. La Reine entra bientôt dans
une colère furieuse et se mit à trépigner en criant : « Qu’on coupe la tête à
celui-ci ! » ou bien : « Qu’on coupe la tête à celle-là ! » une fois environ
par minute.