CHAPITRE X Le Quadrille de Homards (5)
Alice commença donc à leur conter ses aventures depuis le moment où
elle avait vu le Lapin Blanc pour la première fois. Elle fut d’abord un peu
troublée dans le commencement ; les deux créatures se tenaient si près d’elle,
une de chaque côté, et ouvraient de si grands yeux et une si grande bouche !
Mais elle reprenait courage à mesure qu’elle parlait. Les auditeurs restèrent
fort tranquilles jusqu’à ce qu’elle arrivât au moment de son histoire où elle
avait eu à répéter à la chenille : « Vous êtes vieux, Père Guillaume, » et où
les mots lui étaient venus tout de travers, et alors la Fausse-Tortue poussa
un long soupir et dit : « C’est bien singulier. »
« Tout cela est on ne peut plus singulier, » dit le Griffon.
« Tout de travers, » répéta la Fausse-Tortue d’un air rêveur. « Je voudrais
bien l’entendre réciter quelque chose à présent. Dites-lui de s’y mettre. »
Elle regardait le Griffon comme si elle lui croyait de l’autorité sur Alice.
« Debout, et récitez : "C’est la voix du canon," » dit le Griffon.
« Comme ces êtres-là vous commandent et vous font répéter des leçons ! »
pensa Alice ; « autant vaudrait être à l’école. » Cependant elle se leva et
se mit à réciter ; mais elle avait la tête si pleine du Quadrille de Homards,
qu’elle savait à peine ce qu’elle disait, et que les mots lui venaient tout
drôlement : –
« C’est la voix du homard grondant comme la foudre :
"On m’a trop fait bouillir, il faut que je me poudre !"
Puis, les pieds en dehors, prenant la brosse en main,
De se faire bien beau vite il se met en train. »
« C’est tout différent de ce que je récitais quand j’étais petit, moi, » dit
le Griffon.
« Je ne l’avais pas encore entendu réciter, » dit la Fausse-Tortue ; « mais
cela me fait l’effet d’un fameux galimatias. »