【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (6)
À présent, il roulait doucement sur cette couche de verdure, qu’il trouvait
d’une mollesse de plume. Il avait levé un peu le menton, pour voir la buée
lumineuse qui grandissait, au-dessus des toits noirs devinés à l’horizon. Il
arrivait, il était porté, il n’avait qu’à s’abandonner aux secousses ralenties de
la voiture ; et cette approche sans fatigue ne le laissait plus souffrir que de la
faim. La faim s’était réveillée, intolérable, atroce. Ses membres dormaient ;
il ne sentait en lui que son estomac, tordu, tenaillé comme par un fer rouge.
L’odeur fraîche des légumes dans lesquels il était enfoncé, cette senteur
pénétrante des carottes, le troublait jusqu’à l’évanouissement. Il appuyait de
toutes ses forces sa poitrine contre ce lit profond de nourriture, pour se serrer
l’estomac, pour l’empêcher de crier. Et, derrière, les neuf autres tombereaux,
avec leurs montagnes de choux, leurs montagnes de pois, leurs entassements
d’artichauts, de salades, de céleris, de poireaux, semblaient rouler lentement
sur lui et vouloir l’ensevelir, dans l’agonie de sa faim, sous un éboulement
de mangeaille. Il y eut un arrêt, un bruit de grosses voix ; c’était la barrière,
les douaniers sondaient les voitures. Puis, Florent entra dans Paris, évanoui,
les dents serrées, sur les carottes.
– Eh ! l’homme, là-haut ! cria brusquement madame François.
Et, comme il ne bougeait pas, elle monta, le secoua. Alors, Florent se mit
sur son séant. Il avait dormi, il ne sentait plus sa faim ; il était tout hébété.
La maraîchère le fit descendre, en lui disant :
– Vous allez m’aider à décharger, hein ?