【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (13)
La mère Chantemesse s’était décidée à acheter douze bottes de navets.
Elle les tenait dans son tablier, sur son ventre, ce qui arrondissait encore sa
large taille ; et elle restait là, causant toujours, de sa voix traînante. Quand
elle fut partie, madame François vint se rasseoir à côté de Florent, en disant :
– Cette pauvre mère Chantemesse, elle a au moins soixante-douze ans.
J’étais gamine, qu’elle achetait déjà ses navets à mon père. Et pas un parent
avec ça, rien qu’une coureuse qu’elle a ramassée je ne sais où, et qui la fait
damner... Eh bien, elle vivote, elle vend au petit tas, elle se fait encore ses
quarante sous par jour... Moi, je ne pourrais pas rester dans ce diable de
Paris, toute la journée, sur un trottoir. Si l’on y avait quelques parents, au
moins !
Et, comme Florent ne causait guère :
Vous avez de la famille à Paris, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
Il parut ne pas entendre. Sa méfiance revenait. Il avait la tête pleine
d’histoires de police, d’agents guettant à chaque coin de rue, de femmes
vendant les secrets qu’elles arrachaient aux pauvres diables. Elle était tout
près de lui, elle lui semblait pourtant bien honnête, avec sa grande figure
calme, serrée au front par un foulard noir et jaune. Elle pouvait avoir trente-
cinq ans, un peu forte, belle de sa vie en plein air et de sa virilité adoucie
par des yeux noirs d’une tendresse charitable. Elle était certainement très
curieuse, mais d’une curiosité qui devait être toute bonne.