【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (18)
Elle paya, elle emporta les deux paniers dans le pavillon aux fruits
qu’on venait d’ouvrir. Les Halles gardaient leur légèreté noire, avec les
mille raies de flamme des persiennes ; sous les grandes rues couvertes,
du monde passait, tandis que les pavillons, au loin, restaient déserts, au
milieu du grouillement grandissant de leurs trottoirs. À la pointe Saint-
Eustache, les boulangers et les marchands de vins ôtaient leurs volets ; les
boutiques rouges, avec leurs becs de gaz allumés, trouaient les ténèbres, le
long des maisons grises. Florent regardait une boulangerie, rue Montorgueil,
à gauche, toute pleine et toute dorée de la dernière cuisson, et il croyait sentir
la bonne odeur du pain chaud. Il était quatre heures et demie.
Cependant, madame François s’était débarrassée de sa marchandise. Il
lui restait quelques bottes de carottes, quand Lacaille reparut, avec son sac.
– Eh bien, ça va-t-il à un sou ? dit-il.
– J’étais bien sûre de vous revoir, vous, répondit tranquillement la
maraîchère. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes.
– Ça fait dix-sept sous.
– Non, trente-quatre.
Ils tombèrent d’accord à vingt-cinq. Madame François était pressée de
s’en aller. Lorsque Lacaille se fut éloigné, avec ses carottes dans son sac :
– Voyez-vous, il me guettait, dit-elle à Florent. Ce vieux-là râle sur tout le
marché ; il attend quelquefois le dernier coup de cloche, pour acheter quatre
sous de marchandise... Ah ! ces Parisiens ! ça se chamaille pour deux liards,
et ça va boire le fond de sa bourse chez le marchand de vin.