【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (19)
Quand madame François parlait de Paris, elle était pleine d’ironie et de
dédain ; elle le traitait en ville très éloignée, tout à fait ridicule et méprisable,
dans laquelle elle ne consentait à mettre les pieds que la nuit.
– À présent, je puis m’en aller, reprit-elle en s’asseyant de nouveau près
de Florent, sur les légumes d’une voisine.
Florent baissait la tête, il venait de commettre un vol. Quand Lacaille
s’en était allé, il avait aperçu une carotte par terre. Il l’avait ramassée, il la
tenait serrée dans sa main droite. Derrière lui, des paquets de céleris, des tas
de persil mettaient des odeurs irritantes qui le prenaient à la gorge.
– Je vais m’en aller, répéta madame François.
Elle s’intéressait à cet inconnu, elle le sentait souffrir, sur ce trottoir,
dont il n’avait pas remué. Elle lui fit de nouvelles offres de service ; mais il
refusa encore, avec une fierté plus âpre. Il se leva même, se tint debout, pour
prouver qu’il était gaillard. Et, comme elle tournait la tête, il mit la carotte
dans sa bouche. Mais il dut la garder un instant, malgré l’envie terrible
qu’il avait de serrer les dents ; elle le regardait de nouveau en face, elle
l’interrogeait, avec sa curiosité de brave femme. Lui, pour ne pas parler,
répondait par des signes de tête. Puis, doucement, lentement, il mangea la
carotte.
La maraîchère allait décidément partir, lorsqu’une voix forte dit tout à
côté d’elle :
– Bonjour, madame François.