【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (33)
– Je vais m’en aller, répéta madame François.
Elle s’intéressait à cet inconnu, elle le sentait souffrir, sur ce trottoir,
dont il n’avait pas remué. Elle lui fit de nouvelles offres de service ; mais il
refusa encore, avec une fierté plus âpre. Il se leva même, se tint debout, pour
prouver qu’il était gaillard. Et, comme elle tournait la tête, il mit la carotte
dans sa bouche. Mais il dut la garder un instant, malgré l’envie terrible
qu’il avait de serrer les dents ; elle le regardait de nouveau en face, elle
l’interrogeait, avec sa curiosité de brave femme. Lui, pour ne pas parler,
répondait par des signes de tête. Puis, doucement, lentement, il mangea la
carotte.
La maraîchère allait décidément partir, lorsqu’une voix forte dit tout à
côté d’elle :
– Bonjour, madame François.
C’était un garçon maigre, avec de gros os, une grosse tête, barbu, le nez
très fin, les yeux minces et clairs. Il portait un chapeau de feutre noir, roussi,
déformé, et se boutonnait au fond d’un immense paletot, jadis marron tendre,
que les pluies avaient déteint en larges traînées, verdâtres. Un peu courbé,
agité d’un frisson d’inquiétude nerveuse qui devait lui être habituel, il restait
planté dans ses gros souliers lacés ; et son pantalon trop court montrait ses
bas bleus.