【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (36)
Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul
bec de gaz brûlait dans un coin. Les maisons, tassées, renflées, avançaient
leurs auvents comme « des ventres de femme grosse, » selon l’expression
du peintre, penchaient leurs pignons en arrière, s’appuyaient aux épaules
les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d’ombre,
semblaient près de tomber sur le nez. Le bec de gaz en éclairait une, très
blanche, badigeonnée à neuf, avec sa taille de vieille femme cassée et
avachie, toute poudrée à blanc, peinturlurée comme une jeunesse. Puis la file
bossuée des autres s’en allait, s’enfonçant en plein noir, lézardée, verdie par
les écoulements des pluies, dans une débandade de couleurs et d’attitudes
telle, que Claude en riait d’aise. Florent s’était arrêté au coin de la rue de
Mondétour, en face de l’avant-dernière maison, à gauche. Les trois étages
dormaient, avec leurs deux fenêtres sans persiennes, leurs petits rideaux
blancs bien tirés derrière les vitres ; en haut, sur les rideaux de l’étroite
fenêtre du pignon, une lumière allait et venait. Mais la boutique, sous
l’auvent, paraissait lui causer une émotion extraordinaire. Elle s’ouvrait.
C’était un marchand d’herbes cuites ; au fond, des bassines luisaient ; sur
la table d’étalage, des pâtés d’épinards et de chicorée, dans des terrines,
s’arrondissaient, se terminaient en pointe, coupés, derrière, par de petites
pelles, dont on ne voyait que le manche de métal blanc. Cette vue clouait
Florent de surprise ; il devait ne pas reconnaître la boutique ; il fut le nom du
marchand, Godebœuf, sur une enseigne rouge, et resta consterné. Les bras
ballants, il examinait les pâtés d’épinards, de l’air désespéré d’un homme
auquel il arrive quelque malheur suprême.