【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (46)
Et il raconta que son ami Marjolin fut trouvé, un matin, par une
marchande, dans un tas de choux, et qu’il poussa sur le carreau, librement.
Quand on voulut l’envoyer à l’école, il tomba malade, il fallut le ramener
aux Halles. Il en connaissait les moindres recoins, les aimait d’une tendresse
de fils, vivait avec des agilités d’écureuil, au milieu de cette forêt de
fonte. Ils faisaient un joli couple, lui et cette gueuse de Cadine, que la
mère Chantemesse avait ramassée, un soir, au coin de l’ancien marché des
Innocents. Lui, était splendide, ce grand bêta, doré comme un Rubens, avec
un duvet roussâtre qui accrochait le jour ; elle, la petite, futée et mince, avait
un drôle de museau, sous la broussaille noire de ses cheveux crépus.
Claude, tout en causant, hâtait le pas. Il ramena son compagnon à la
pointe Saint-Eustache. Celui-ci se laissa tomber sur un banc, près du bureau
des omnibus, les jambes cassées de nouveau. L’air fraîchissait. Au fond de la
rue Rambuteau, des lueurs roses marbraient le ciel laiteux, sabré, plus haut,
par de grandes déchirures grises. Cette aube avait une odeur si balsamique,
que Florent se crut un instant en pleine campagne, sur quelque colline. Mais
Claude lui montra, de l’autre côté du banc, le marché aux aromates. Le long
du carreau de la triperie, on eût dit des champs de thym, de lavande, d’ail,
d’échalote ; et les marchandes avaient enlacé, autour des jeunes platanes du
trottoir, de hautes branches de laurier qui faisaient des trophées de verdure.
C’était l’odeur puissante du laurier qui dominait.