【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (47)
Le cadran lumineux de Saint-Eustache pâlissait, agonisait, pareil à une
veilleuse surprise par le matin. Chez les marchands de vin, au fond des
rues voisines, les becs de gaz s’éteignaient un à un, comme des étoiles
tombant dans de la lumière. Et Florent regardait les grandes Halles sortir
de l’ombre, sortir du rêve, où il les avait vues, allongeant à l’infini leurs
palais à jour. Elles se solidifiaient, d’un gris verdâtre, plus géantes encore,
avec leur mâture prodigieuse, supportant les nappes sans fin de leurs toits.
Elles entassaient leurs masses géométriques ; et, quand toutes les clartés
intérieures furent éteintes, qu’elles baignèrent dans le jour levant, carrées,
uniformes, elles apparurent comme une machine moderne, hors de toute
mesure, quelque machine à vapeur, quelque chaudière destinée à la digestion
d’un peuple, gigantesque ventre de métal, boulonné, rivé, fait de bois, de
verre et de fonte, d’une élégance et d’une puissance de moteur mécanique,
fonctionnant là, avec la chaleur du chauffage, l’étourdissement, le branle
furieux des roues.
Mais Claude était monté debout sur le banc, d’enthousiasme. Il força son
compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C’était une mer.