【Emile Zola】Le Ventre de Paris I (49)
Claude battait des mains, à ce spectacle. Il trouvait « ces gredins de
légumes » extravagants, fous, sublimes. Et il soutenait qu’ils n’étaient pas
morts, qu’arrachés de la veille, ils attendaient le soleil du lendemain pour
lui dire adieu sur le pavé des Halles. Il les voyait vivre, ouvrir leurs feuilles,
comme s’ils eussent encore les pieds tranquilles et chauds dans le fumier. Il
disait entendre là le râle de tous les potagers de la banlieue. Cependant, la
foule des bonnets blancs, des caracos noirs, des blouses bleues, emplissait
les étroits sentiers, entre les tas. C’était toute une campagne bourdonnante.
Les grandes hottes des porteurs filaient lourdement au-dessus des têtes.
Les revendeuses, les marchands des quatre saisons, les fruitiers, achetaient,
se hâtaient. Il y avait des caporaux et des bandes de religieuses autour
des montagnes de choux ; tandis que des cuisiniers de collège flairaient,
cherchant les bonnes aubaines. On déchargeait toujours ; des tombereaux
jetaient leur charge à terre, comme une charge de pavés, ajoutant un flot aux
autres flots, qui venaient maintenant battre le trottoir opposé. Et, du fond de
la rue du Pont-Neuf, des files de voitures arrivaient, éternellement.
– C’est crânement beau tout de même, murmurait Claude en extase.
Florent souffrait. Il croyait à quelque tentation surhumaine. Il ne voulait
plus voir, il regardait Saint-Eustache, posé de biais, comme lavé à la sépia
sur le bleu du ciel, avec ses rosaces, ses larges fenêtres cintrées, son
clocheton, ses toits d’ardoises. Il s’arrêtait à l’enfoncement sombre de la rue
Montorgueil, où éclataient des bouts d’enseignes violentes, au pan coupé
de la rue Montmartre, dont les balcons luisaient, chargés de lettres d’or.