【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (6 )
Les deux frères s’étaient fait un ami. La maison avait une façade sur la
rue Saint-Jacques, et là s’ouvrait une grande rôtisserie, tenue par un digne
homme nommé Gavard, dont la femme se mourait de la poitrine, au milieu
de l’odeur grasse des volailles. Quand Florent rentrait trop tard pour faire
cuire quelque bout de viande, il achetait en bas un morceau de dinde ou
un morceau d’oie de douze sous. C’était des jours de grand régal. Gavard
finit par s’intéresser à ce garçon maigre, il connut son histoire, il attira le
petit. Et bientôt Quenu ne quitta plus la rôtisserie. Dès que son frère partait,
il descendait, il s’installait au fond de la boutique, ravi des quatre broches
gigantesques qui tournaient avec un bruit doux, devant les hautes flammes
claires.
Les larges cuivres de la cheminée luisaient, les volailles fumaient, la
graisse chantait dans la lèchefrite, les broches finissaient par causer entre
elles, par adresser des mots aimables à Quenu, qui, une longue cuiller à la
main, arrosait dévotement les ventres dorés des oies rondes et des grandes
dindes. Il restait des heures, tout rouge des clartés dansantes de la flambée,
un peu abêti, riant vaguement aux grosses bêtes qui cuisaient ; et il ne se
réveillait que lorsqu’on débrochait. Les volailles tombaient dans les plats ;
les broches sortaient des ventres, toutes fumantes ; les ventres se vidaient,
laissant couler le jus par les trous du derrière et de la gorge, emplissant
la boutique d’une odeur forte de rôti. Alors, l’enfant, debout, suivant des
yeux l’opération, battait des mains, parlait aux volailles, leur disait qu’elles
étaient bien bonnes, qu’on les mangerait, que les chats n’auraient que les os.