【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (10 )
Il réussit enfin à voir Florent. Mais, en revenant de Bicêtre, il dut
se coucher ; une fièvre le tint pendant près de trois semaines dans une
somnolence hébétée. Ce fut sa première et sa seule maladie. Gradelle
envoyait son républicain de neveu à tous les diables. Quand il connut son
départ pour Cayenne, un matin, il tapa dans les mains de Quenu, l’éveilla,
lui annonça brutalement cette nouvelle, provoqua une telle crise, que le
lendemain le jeune homme était debout. Sa douleur se fondit ; ses chairs
molles semblèrent boire ses dernières larmes. Un mois plus tard, il riait,
s’irritait, tout triste d’avoir ri ; puis la belle humeur l’emportait, et il riait
sans savoir.
Il apprit la charcuterie. Il y goûtait plus de jouissances encore que dans
la cuisine. Mais l’oncle Gradelle lui disait qu’il ne devait pas trop négliger
ses casseroles, qu’un charcutier bon cuisinier était rare, que c’était une
chance d’avoir passé par un restaurant avant d’entrer chez lui. Il utilisait ses
talents, d’ailleurs ; il lui faisait faire des dîners pour la ville, le chargeait
particulièrement des grillades et des côtelettes de porc aux cornichons.
Comme le jeune homme lui rendait de réels services, il l’aima à sa manière,
lui pinçant les bras, les jours de belle humeur. Il avait vendu le pauvre
mobilier de la rue Royer-Collard, et en gardait l’argent, quarante et quelques
francs, pour que ce farceur de Quenu, disait-il, ne le jetât pas par les fenêtres.
Il finit pourtant par lui donner chaque mois six francs pour ses menus plaisirs
Quenu, serré d’argent, brutalisé parfois, était parfaitement heureux. Il
aimait qu’on lui mâchât sa vie. Florent l’avait trop élevé en fille paresseuse.