【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (12 )
Lisa, qui était la fille aînée des Macquart, de Plassans, avait encore son
père. Elle le disait à l’étranger, ne lui écrivait jamais. Parfois, elle laissait
seulement échapper que sa mère était, de son vivant, une rude travailleuse,
et qu’elle tenait d’elle. Elle se montrait, en effet, très patiente au travail.
Mais elle ajoutait que la brave femme avait eu une belle constance de se tuer
pour faire aller le ménage. Elle parlait alors des devoirs de la femme et des
devoirs du mari, très sagement, d’une façon honnête, qui ravissait Quenu.
Il lui affirmait qu’il avait absolument ses idées. Les idées de Lisa étaient
que tout le monde doit travailler pour manger ; que chacun est chargé de
son propre bonheur ; qu’on fait le mal en encourageant la paresse ; enfin,
que, s’il y a des malheureux, c’est tant pis pour les fainéants. C’était là une
condamnation très nette de l’ivrognerie, des flâneries légendaires du vieux
Macquart. Et, à son insu, Macquart parlait haut en elle ; elle n’était qu’une
Macquart rangée, raisonnable, logique avec ses besoins de bien-être, ayant
compris que la meilleure façon de s’endormir dans une tiédeur heureuse est
encore de se faire soi-même un lit de béatitude. Elle donnait à cette couche
moelleuse toutes ses heures, toutes ses pensées. Dès l’âge de six ans, elle
consentait à rester bien sage sur sa petite chaise, la journée entière, à la
condition qu’on la récompenserait d’un gâteau le soir.