【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (13)
Chez le charcutier Gradelle, Lisa continua sa vie calme, régulière,
éclairée par ses beaux sourires. Elle n’avait pas accepté l’offre du
bonhomme à l’aventure ; elle savait trouver en lui un chaperon, elle
pressentait peut-être, dans cette boutique sombre de la rue Pirouette, avec
le flair des personnes chanceuses, l’avenir solide qu’elle rêvait, une vie de
jouissances saines, un travail sans fatigue, dont chaque heure amenât la
récompense. Elle soigna son comptoir avec les soins tranquilles qu’elle avait
donnés à la veuve du directeur des postes. Bientôt la propreté des tabliers
de Lisa fut proverbiale dans le quartier. L’oncle Gradelle était si content de
cette belle fille, qu’il disait parfois à Quenu, en ficelant ses saucissons :
– Si je n’avais pas soixante ans passés, ma parole d’honneur, je ferais la
bêtise de l’épouser... C’est de l’or en barre, mon garçon, une femme comme
ça dans le commerce.
Quenu renchérissait. Il rit pourtant à belles dents, un jour qu’un voisin
l’accusa d’être amoureux de Lisa. Cela ne le tourmentait guère. Ils étaient
très bons amis. Le soir, ils montaient ensemble se coucher. Lisa occupait, à
côté du trou noir où s’allongeait le jeune homme, une petite chambre qu’elle
avait rendue toute claire, en l’ornant partout de rideaux de mousseline. Ils
restaient là, un instant, sur le palier, leur bougeoir à la main, causant, mettant
la clef dans la serrure. Et ils refermaient leur porte, disant amicalement :
– Bonsoir, mademoiselle Lisa.
– Bonsoir, monsieur Quenu.