【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (14)
Quenu se mettait au lit en écoutant Lisa faire son petit ménage. La cloison
était si mince, qu’il pouvait suivre chacun de ses mouvements. Il pensait :
« Tiens, elle tire les rideaux de sa fenêtre. Qu’est-ce qu’elle peut bien faire
devant sa commode ? La voilà qui s’asseoit et qui ôte ses bottines. Ma foi,
bonsoir, elle a soufflé sa bougie. Dormons. » Et, s’il entendait craquer le lit,
il murmurait en riant : « Fichtre ! elle n’est pas légère, mademoiselle Lisa. »
Cette idée l’égayait ; il finissait par s’endormir, en songeant aux jambons et
aux bandes de petit salé qu’il devait préparer le lendemain.
Cela dura un an, sans une rougeur de Lisa, sans un embarras de Quenu.
Le matin, au fort du travail, lorsque la jeune fille venait à la cuisine, leurs
mains se rencontraient au milieu des hachis. Elle l’aidait parfois, elle tenait
les boyaux de ses doigts potelés, pendant qu’il les bourrait de viandes et
de lardons. Ou bien ils goûtaient ensemble la chair crue des saucisses,
du bout de la langue, pour voir si elle était convenablement épicée. Elle
était de bon conseil, connaissait des recettes du Midi, qu’il expérimenta
avec succès. Souvent, il la sentait derrière son épaule, regardant au fond
des marmites, s’approchant si près, qu’il avait sa forte gorge dans le dos.