【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (18)
Ce fut Lisa qui fit le plus de besogne. Ils rangeaient les piles d’or sur
l’oreiller, laissant l’argent dans le trou de la couverture. Quand ils eurent
trouvé le chiffre, énorme pour eux, de quatre-vingt-cinq mille francs, ils
causèrent. Naturellement, ils parlèrent de l’avenir, de leur mariage, sans
qu’il eût jamais été question d’amour entre eux. Cet argent semblait leur
délier la langue. Ils s’étaient enfoncés davantage, s’adossant au mur de la
ruelle, sous les rideaux de mousseline blanche, les jambes un peu allongées ;
et comme, en bavardant, leurs mains fouillaient l’argent, elles s’y étaient
rencontrées, s’oubliant l’une dans l’autre, au milieu des pièces de cent sous.
Le crépuscule les surprit. Alors seulement Lisa rougit de se voir à côté de ce
garçon. Ils avaient bouleversé le lit, les draps pendaient, l’or, sur l’oreiller
qui les séparait, faisait des creux, comme si des têtes s’y étaient roulées,
chaudes de passion.
Ils se levèrent gênés, de l’air confus de deux amoureux qui viennent de
commettre une première faute. Ce lit défait, avec tout cet argent, les accusait
d’une joie défendue, qu’ils avaient goûtée, la porte close. Ce fut leur chute,
à eux. Lisa, qui rattachait ses vêtements comme si elle avait fait le mal, alla
chercher ses dix mille francs. Quenu voulut qu’elle les mit avec les quatre-
vingt-cinq mille francs de l’oncle ; il mêla les deux sommes en riant, en
disant que l’argent, lui aussi, devait se fiancer ; et il fut convenu que ce serait
Lisa qui garderait « le magot » dans sa commode. Quand elle l’eut serré
et qu’elle eut refait le lit, ils descendirent paisiblement. Ils étaient mari et
femme.