【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (23)
– Tenez, ajoutait Lisa, dans ses heures d’expansion, j’ai un cousin à
Paris... Je ne le vois pas, les deux familles sont brouillées. Il a pris le nom de
Saccard, pour faire oublier certaines choses... Eh bien, ce cousin, m’a-t-on
dit, gagne des millions. Ça ne vit pas, ça se brûle le sang, c’est toujours par
voies et par chemins, au milieu de trafics d’enfer. Il est impossible, n’est-
ce pas ? que ça mange tranquillement son dîner, le soir. Nous autres, nous
savons au moins ce que nous mangeons, nous n’avons pas ces tracasseries.
On n’aime l’argent que parce qu’il en faut pour vivre. On tient au bien-être,
c’est naturel. Quant à gagner pour gagner, à se donner plus de mal qu’on ne
goutera ensuite de plaisir, ma parole, j’aimerais mieux me croiser les bras...
Et puis, je voudrais bien les voir ses millions, à mon cousin. Je ne crois pas
aux millions comme ça. Je l’ai aperçu, l’autre jour, en voiture ; il était tout
jaune, il avait l’air joliment sournois. Un homme qui gagne de l’argent n’a
pas une mine de cette couleur-là. Enfin, ça le regarde... Nous préférons ne
gagner que cent sous, et profiter des cent sous.
Le ménage profitait, en effet. Ils avaient eu une fille, dès la première
année de leur mariage. À eux trois, ils réjouissaient les yeux. La maison allait
largement, heureusement, sans trop de fatigue, comme le voulait Lisa. Elle
avait soigneusement écarté toutes les causes possibles de trouble, laissant
couler les journées au milieu de cet air gras, de cette prospérité alourdie.