【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (35)
L’attitude de Gavard devant Florent était pleine d’une joie défendue.
Il le couvait avec des clignements d’yeux, lui parlait bas pour lui dire les
choses les plus simples du monde, mettait dans ses poignées de main des
confidences maçonniques. Enfin, il avait donc rencontré une aventure ; il
tenait un camarade réellement compromis ; il pouvait, sans trop mentir,
parler des dangers qu’il courait. Il éprouvait certainement une peur inavouée,
en face de ce garçon qui revenait du bagne, et dont la maigreur disait les
longues souffrances ; mais cette peur délicieuse le grandissait lui-même,
lui persuadait qu’il faisait un acte très étonnant, en accueillant en ami un
homme des plus dangereux. Florent devint sacré ; il ne jura que par Florent ;
il nommait Florent, quand les arguments lui manquaient, et qu’il voulait
écraser le gouvernement une fois pour toutes.
Gavard avait perdu sa femme, rue Saint-Jacques, quelques mois après
le coup d’État. Il garda la rôtisserie jusqu’en 1856. À cette époque, le
bruit courut qu’il avait gagné des sommes considérables en s’associant
avec un épicier son voisin, chargé d’une fourniture de légumes secs pour
l’armée d’Orient. La vérité fut qu’après avoir vendu la rôtisserie, il vécut
de ses rentes pendant un an. Mais il n’aimait pas parler de l’origine
de sa fortune ; cela le gênait, l’empêchait de dire tout net son opinion
sur la guerre de Crimée, qu’il traitait d’expédition aventureuse, « faite
uniquement pour consolider le trône et emplir certaines poches. » Au bout
d’un an, il s’ennuya mortellement dans son logement de garçon.