【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (36)
Commeil rendait visite aux Quenu-Gradelle presque journellement, il se rapprocha
d’eux, vint habiter rue de la Cossonnerie. Ce fut là que les Halles le
séduisirent, avec leur vacarme, leurs commérages énormes. Il se décida à
louer une place au pavillon de la volaille, uniquement pour se distraire, pour
occuper ses journées vides des cancans du marché. Alors, il vécut dans des
jacasseries sans fin, au courant des plus minces scandales du quartier, la tête
bourdonnante du continuel glapissement de voix qui l’entourait. Il y goûtait
mille joies chatouillantes, béat, ayant trouvé son élément, s’y enfonçant avec
des voluptés de carpe nageant au soleil. Florent allait parfois lui serrer la
main, à sa boutique. Les après-midi étaient encore très chaudes. Le long des
allées étroites, les femmes, assises, plumaient. Des raies de soleil tombaient
entre les tentes relevées, les plumes volaient sous les doigts, pareilles à une
neige dansante, dans l’air ardent, dans la poussière d’or des rayons. Des
appels, toute une traînée d’offres et de caresses, suivaient Florent. « Un beau
canard, monsieur ?... Venez me voir... J’ai de bien jolis poulets gras...
Monsieur, monsieur, achetez-moi cette paire de pigeons... » Il se dégageait,
gêné, assourdi. Les femmes continuaient à plumer en se le disputant, et des
vols de fin duvet s’abattaient, le suffoquaient d’une fumée, comme chauffée
et épaissie encore par l’odeur forte des volailles. Enfin, au milieu de l’allée,
près des fontaines, il trouvait Gavard, en manches de chemise, les bras
croisés sur la bavette de son tablier bleu, pérorant devant sa boutique. Là,
Gavard régnait, avec des mines de bon prince, au milieu d’un groupe de
dix à douze femmes. Il était le seul homme du marché. Il avait la langue
tellement longue, qu’après s’être fâché avec les cinq ou six filles qu’il prit
successivement pour tenir sa boutique, il se décida à vendre sa marchandise
lui-même, disant naïvement que ces pécores passaient leur sainte journée
à cancaner, et qu’il ne pouvait en venir à bout. Comme il fallait pourtant
que quelqu’un gardât sa place, lorsqu’il s’absentait, il recueillit Marjolin
qui battait le pavé, après avoir tenté tous les menus métiers des Halles.