【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (37)
EtFlorent restait parfois une heure avec Gavard, émerveillé de son intarissable
commérage, de sa carrure et de son aisance parmi tous ses jupons, coupant
la parole à l’une, se querellant avec une autre, à dix boutiques de distance,
arrachant un client à une troisième, faisant plus de bruit à lui seul que les
cent et quelques bavardes ses voisines, dont la clameur secouait les plaques
de fonte du pavillon d’un frisson sonore de tam-tam.
Le marchand de volailles, pour toute famille, n’avait plus qu’une
belle-sœur et une nièce. Quand sa femme mourut, la sœur aînée de
celle-ci, madame Lecœur, qui était veuve depuis un an, la pleura d’une
façon exagérée, en allant presque chaque soir porter ses consolations au
malheureux mari. Elle dut nourrir, à cette époque, le projet de lui plaire et
de prendre la place encore chaude de la morte. Mais Gavard détestait les
femmes maigres ; il disait que cela lui faisait de la peine de sentir les os
sous la peau ; il ne caressait jamais que les chats et les chiens très gras,
goûtant une satisfaction personnelle aux échines rondes et nourries. Madame
Lecœur, blessée, furieuse de voir les pièces de cent sous du rôtisseur lui
échapper, amassa une rancune mortelle. Son beau-frère fut l’ennemi dont
elle occupa toutes ses heures. Lorsqu’elle le vit s’établir aux Halles, à deux
pas du pavillon où elle vendait du beurre, des fromages et des œufs, elle
l’accusa d’avoir « inventé ça pour la taquiner et lui porter mauvaise chance. »
Dès lors, elle se lamenta, jaunit encore, se frappa tellement l’esprit, qu’elle
finit réellement par perdre sa clientèle et faire de mauvaises affaires.