【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (38)
Elle avait gardé longtemps avec elle la fille d’une de ses sœurs, une paysanne qui
lui envoya la petite, sans plus s’en occuper. L’enfant grandit au milieu des
Halles. Comme elle se nommait Sarriet de son nom de famille, on ne l’appela
bientôt que la Sarriette. À seize ans, la Sarriette était une jeune coquine si
délurée, que des messieurs venaient acheter des fromages uniquement pour
la voir. Elle ne voulut pas des messieurs, elle était populacière, avec son
visage pâle de vierge brune et ses yeux qui brûlaient comme des tisons.
Ce fut un porteur qu’elle choisit, un garçon de Ménilmontant qui faisait les
commissions de sa tante. Lorsque, à vingt ans, elle s’établit marchande de
fruits, avec quelques avances dont on ne connut jamais bien la source, son
amant, qu’on appelait monsieur Jules, se soigna les mains, ne porta plus
que des blouses propres et une casquette de velours, vint seulement aux
Halles l’après-midi, en pantoufles. Ils logeaient ensemble, rue Vauvilliers,
au troisième étage d’une grande maison, dont un café borgne occupait le rez-
de-chaussée. L’ingratitude de la Sarriette acheva d’aigrir madame Lecœur,
qui la traitait avec une furie de paroles ordurières. Elles se fâchèrent, la tante
exaspérée, la nièce inventant avec monsieur Jules des histoires qu’il allait
raconter dans le pavillon aux beurres. Gavard trouvait la Sarriette drôle ; il
se montrait plein d’indulgence pour elle, il lui tapait sur les joues, quand il
la rencontrait : elle était dodue et exquise de chair.