Une grande brune poussait la porte de la boutique. C’était la belle
poissonnière, Louise Méhudin, dite la Normande. Elle avait une beauté
hardie, très blanche et délicate de peau, presque aussi forte que Lisa, mais
d’œil plus effronté et de poitrine plus vivante. Elle entra, cavalière, avec
sa chaîne d’or sonnant sur son tablier, ses cheveux nus peignés à la mode,
son nœud de gorge, un nœud de dentelle qui faisait d’elle une des reines
coquettes des Halles. Elle portait une vague odeur de marée ; et, sur une
de ses mains, près du petit doigt, il y avait une écaille de hareng, qui
mettait là une mouche de nacre. Les deux femmes, ayant habité la même
maison, rue Pirouette, étaient des amies intimes, très liées par une pointe de
rivalité qui les faisait s’occuper l’une de l’autre, continuellement. Dans le
quartier, on disait la Belle Normande, comme on disait la belle Lisa. Cela
les opposait, les comparait, les forçait à soutenir chacune sa renommée de
beauté. En se penchant un peu, la charcutière, de son comptoir, apercevait
dans le pavillon, en face, la poissonnière, au milieu de ses saumons et de ses
turbots. Elles se surveillaient toutes deux. La belle Lisa se serrait davantage
dans ses corsets. La belle Normande ajoutait des bagues à ses doigts et des
nœuds à ses épaules. Quand elles se rencontraient, elles étaient très douces,
très complimenteuses, l’œil furtif sous la paupière à demi close, cherchant
les défauts. Elles affectaient de se servir l’une chez l’autre et de s’aimer
beaucoup.
– Dites, c’est bien demain soir que vous faites le boudin ? demanda la
Normande de son air riant.