【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (71)
– Mais, interrompit-elle, ce n’est pas l’histoire du monsieur qui a été
mangé par les bêtes… C’est une autre histoire, dis, mon cousin ?
– Attends, tu verras, répondit doucement Florent. J’y arriverai, à l’histoire
du monsieur… Je te raconte l’histoire tout entière.
– Ah ! bien, murmura l’enfant d’un air heureux.
Pourtant elle resta pensive, visiblement préoccupée par quelque grosse
difficulté qu’elle ne pouvait résoudre. Enfin, elle se décida.
– Qu’est-ce qu’il avait donc fait, le pauvre homme, demanda-t-elle, pour
qu’on le renvoyât et qu’on le mit dans le bateau ?
Lisa et Augustine eurent un sourire. L’esprit de l’enfant les ravissait. Et
Lisa, sans répondre directement, profita de la circonstance pour lui faire la
morale ; elle la frappa beaucoup, en lui disant qu’on mettait aussi dans le
bateau les enfants qui n’étaient pas sages.
– Alors, fit remarquer judicieusement Pauline, c’était bien fait, si le
pauvre homme de mon cousin pleurait la nuit.
Lisa reprit sa couture, en baissant les épaules. Quenu n’avait pas entendu.
Il venait de couper dans la marmite des rondelles d’oignon qui prenaient,
sur le feu, des petites voix claires et aiguës de cigales pâmées de chaleur.
Ça sentait très bon. La marmite, lorsque Quenu y plongeait sa grande cuiller
de bois, chantait plus fort, emplissant la cuisine de l’odeur pénétrante de
l’oignon cuit. Auguste préparait, dans un plat, des gras de lard. Et le hachoir
de Léon allait à coups plus vifs, raclant la table par moments, pour ramener
la chair à saucisse qui commençait à se mettre en pâte.