【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (74)
Il avait baissé la voix, et les lardons qui sifflaient joyeusement dans
la marmite la couvraient de leur bruit de friture bouillante. Mais Lisa
l’entendait, effrayée de l’expression implacable que son visage avait prise
brusquement. Elle le jugea hypocrite, avec cet air doux qu’il savait feindre.
Le ton sourd de Florent avait mis le comble au plaisir de Pauline. Elle
s’agitait sur le genou du cousin, enchantée de l’histoire.
– Et l’homme, et l’homme ? murmurait-elle.
Florent regarda la petite Pauline, parut se souvenir, retrouva son sourire
triste.
– L’homme, dit-il, n’était pas content d’être dans l’île. Il n’avait qu’une
idée, s’en aller, traverser la mer pour atteindre la côte, dont on voyait, par les
beaux temps, la ligne blanche à l’horizon. Mais ce n’était pas commode. Il
fallait construire un radeau. Comme des prisonniers s’étaient sauvés déjà, on
avait abattu tous les arbres de l’île, afin que les autres ne pussent se procurer
du bois. L’île était toute pelée, si nue, si aride sous les grands soleils, que le
séjour en devenait plus dangereux et plus affreux encore. Alors l’homme eut
l’idée, avec deux de ses camarades, de se servir des troncs d’arbres de leurs
huttes. Un soir, ils partirent sur quelques mauvaises poutres qu’ils avaient
liées avec des branches sèches. Le vent les portait vers la côte. Le jour
allait paraître, quand leur radeau échoua sur un banc de sable, avec une telle
violence, que les troncs d’arbres détachés furent emportés par les vagues.
Les trois malheureux faillirent rester dans le sable ; ils enfonçaient jusqu’à la
ceinture ; même il y en eut un qui disparut jusqu’au menton, et que les deux
autres durent retirer. Enfin ils atteignirent un rocher, où ils avaient à peine
assez de place pour s’asseoir. Quand le soleil se leva, ils aperçurent en face
d’eux la côte, une barre de falaises grises tenant tout un côté de l’horizon.
Deux, qui savaient nager, se décidèrent à gagner ces falaises. Ils aimaient
mieux risquer de se noyer tout de suite que de mourir lentement de faim sur
leur écueil. Ils promirent à leur compagnon de venir le chercher, lorsqu’ils
auraient touché terre et qu’ils se seraient procuré une barque.