【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (75)
– Ah ! voilà, je sais maintenant ! cria la petite Pauline, tapant de joie dans
ses mains. C’est l’histoire du monsieur qui a été mangé par les bêtes.
– Ils purent atteindre la côte, poursuivit Florent ; mais elle était déserte, ils
ne trouvèrent une barque qu’au bout de quatre jours… Quand ils revinrent
à l’écueil, ils virent leur compagnon étendu sur le dos, les pieds et les mains
dévorés, la face rongée, le ventre plein d’un grouillement de crabes qui
agitaient la peau des flancs, comme si un râle furieux eût traversé ce cadavre
à moitié mangé et frais encore.
Un murmure de répugnance échappa à Lisa et à Augustine. Léon, qui
préparait des boyaux de porc pour le boudin, fit une grimace. Quenu s’arrêta
dans son travail, regarda Auguste pris de nausées. Et il n’y avait que Pauline
qui riait. Ce ventre, plein d’un grouillement de crabes, s’étalait étrangement
au milieu de la cuisine, mêlait des odeurs suspectes aux parfums du lard et
de l’oignon.
– Passez-moi le sang ! cria Quenu, qui, d’ailleurs, ne suivait pas l’histoire.
Auguste apporta les deux brocs. Et, lentement, il versa le sang dans la
marmite, par minces filets rouges, tandis que Quenu le recevait, en tournant
furieusement la bouillie qui s’épaississait. Lorsque les brocs furent vides, ce
dernier, atteignant un à un les tiroirs, au-dessus du fourneau, prit des pincées
d’épices. Il poivra surtout fortement.
– Ils le laissèrent là, n’est-ce pas ? demanda Lisa. Ils revinrent sans
danger ?