【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (77)
Mais Lisa revint à la question de savoir si l’on peut rester trois jours sans
manger. Ce n’était pas possible.
– Non ! dit-elle, je ne crois pas ça… D’ailleurs, il n’y a personne qui
soit resté trois jours sans manger. Quand on dit : « Un tel crève de faim, »
c’est une façon de parler. On mange toujours, plus ou moins… Il faudrait
des misérables tout à fait abandonnés, des gens perdus.
Elle allait dire sans doute « des canailles sans aveu ; » mais elle se
retint, en regardant Florent. Et la moue méprisante de ses lèvres, son regard
clair avouaient carrément que les gredins seuls jeunaient de cette façon
désordonnée. Un homme capable d’être resté trois jours sans manger était
pour elle un être absolument dangereux. Car, enfin, jamais les honnêtes gens
ne se mettent dans des positions pareilles.
Florent étouffait maintenant. En face de lui, le fourneau, dans lequel
Léon venait de jeter plusieurs pelletées de charbon, ronflait comme un
chantre dormant au soleil. La chaleur devenait très forte. Auguste, qui s’était
chargé des marmites de saindoux, les surveillait, tout en sueur ; tandis que,
s’épongeant le front avec sa manche. Quenu attendait que le sang se fût bien
délayé. Un assoupissement de nourriture, un air chargé d’indigestion flottait.
– Quand l’homme eut enterré son camarade dans le sable, reprit Florent
lentement, il s’en alla seul, droit devant lui. La Guyane hollandaise, où
il se trouvait, est un pays de forêts, coupé de fleuves et de marécages.