【Emile Zola】Le Ventre de Paris II (78)
L’homme marcha pendant plus de huit jours, sans rencontrer une habitation.
Tout autour de lui, il sentait la mort qui l’attendait. Souvent, l’estomac
tenaillé par la faim, il n’osait mordre aux fruits éclatants qui pendaient des
arbres ; il avait peur de ces baies aux reflets métalliques, dont les bosses
noueuses suaient le poison. Pendant des journées entières, il marchait sous
des voûtes de branches épaisses, sans apercevoir un coin de ciel, au milieu
d’une ombre verdâtre, toute pleine d’une horreur vivante. De grands oiseaux
s’envolaient sur sa tête, avec un bruit d’ailes terrible et des cris subits qui
ressemblaient à des râles de mort ; des sauts de singes, des galops de bêtes
traversaient les fourrés, devant lui, pliant les tiges, faisant tomber une pluie
de feuilles, comme sous un coup de vent ; et c’était surtout les serpents qui le
glaçaient, quand il posait le pied sur le sol mouvant de feuilles sèches. et qu’il
voyait des têtes minces filer entre les enlacements monstrueux des racines.
Certains coins, les coins d’ombre humide, grouillaient d’un pullulement de
reptiles, noirs, jaunes, violacés, zébrés, tigrés, pareils à des herbes mortes,
brusquement réveillées et fuyantes. Alors, il s’arrêtait, il cherchait une pierre
pour sortir de cette terre molle où il enfonçait ; il restait là des heures,
avec l’épouvante de quelque boa, entrevu au fond d’une clairière, la queue
roulée, la tête droite, se balançant comme un tronc énorme, taché de plaques
d’or.